JOURNAL D’UN MELOMANE est une websérie en 9 épisodes écrite par Kostia Milhakiev, qui retrace son parcours de mélomane au fil du temps.
J’ai connu Joël Perrot sur un forum consacré à des automobiles anglaises. De fil en fil, j’appris qu’il était : pianiste concertiste, récompensé d’une pagaille de Premiers Prix, chef d’orchestre, organisateur de festivals, membres de jurys internationaux, ingénieur du son, éditeur de musique. Ces deux dernières qualités couvrant l’essentiel de ses activités actuelles.
Durant des semaines, je l’interrogeais au téléphone sur les pianos : leur fabrication, leurs qualités, l’évolution historique de leurs conceptions, etc. Il est un grand fan des pianos FAZIOLI comme il est collectionneur de pianos anciens.
Puis, je l’interrogeais plus longuement sur la musique en général. Puis enfin sur la hifi.
Des semaines vous dis-je. Un soir, Frangine qui était en visite, m’interrogea : « Mais tu ne connais toujours pas ce monsieur à qui tu parles chaque soir pendant une heure ?... »
Au cours d’un été suivant, Joël arriva chez moi en voiture anglaise, accompagné de son épouse la pianiste Corinne Kloska. Il apportait quelques unes de ses réalisations, parmi lesquelles un CD d’enregistrements de Corinne « Chopin, autour des Scherzi », sur lequel figure une courte composition « Hexameron ».
Après avoir observé ma « pièce de musique », Joël apprécia l’acoustique de mon système avec cette pièce de piano.
Et il me posa cette fameuse interrogation : Mais qu’est-ce que tu veux entendre ?
Et je lui répondis par la formule préférée de l’idiophile : des graves tendus, des médiums lumineux, des aigus qui filent…
Il ne fit pas de critiques — ce n’est pas son genre — mais il organisa une révision complète de l’ensemble.
Ton revêtement de plafond et de murs, c’est du placoplâtre BA13. Alors, ça ne sonnera jamais correctement à cause des résonances (catastrophe !). Et Joël de vérifier les phases du secteur : presque toutes inversées ! Le montage des câbles : approximatif ! La pose de la platine sur un socle de verre et métal : à proscrire absolument, c’est dur, ça sonne mal ! Les enceintes Titan II : une aberration dans un tel espace ! Le matériel électronique : peut mieux faire pour moins cher !
Et nous nous mîmes à corriger ce qu’il était possible de faire : vérifier les phases, réorganiser les câblages, bourrer les events ¼ d’ondes repliées des Titan avec de la mousse récupérée au garage, jouer sur les écartements des monstres…
Après chaque modification, nous réécoutions l’Hexameron de Chopin. A chaque fois, j’entendais une amélioration.
L’objectif, m’enseigna Joël, est de retrouver, sur la chaîne hifi, l’interprétation de l’artiste, au plus proche de la réalité de l’enregistrement.
Grâce à ce conseil, je suis réellement devenu mélomane. J’apprécie désormais l’écoute de diverses versions d’une même œuvre pour en saisir la délicatesse de l’interprète, à chaque fois différent.
La mise en œuvre du matériel le plus cher, le plus sophistiqué du monde — comme le plus modeste —, obéit à des principes simplissimes et souvent très économiques : posez tous les éléments sur du contreplaqué de bois (de bouleau de préférence, éliminez donc les supports en verre ou en métal) ; vérifiez que tous les matériels électriques reçoivent la même phase de courant depuis les prises murales. Eventuellement vérifiez la phase depuis le compteur et méfiez-vous de certaines marques étrangères dont les phases sont inversées sur le châssis (utilisez un stylo testeur) ; bannissez les câbles ultra chers quoiqu’en disent les vendeurs, toutefois ces conducteurs peuvent avoir un sens de branchement, oui, la différence est audible (même si ça se discute dans les forums); en revanche, soignez les prises au bout de ces câbles ; éloignez les enceintes du mur arrière ; évitez la tentation de l’équilibre esthétique et du souci décoratif de présenter ses enceintes à égale distance des murs latéraux (même si c’est plus WAF compatible).
Joël a assurément l’avantage d’avoir ce que l’on appelle l’oreille absolue. Mais surtout, il connait la musique vivante, par sa longue fréquentation des orchestres, instruments et instrumentistes. Donc il connaît la musique vraie. Celle qui n’est pas réinterprétée par des composants électroniques (colorés et/ou plus harmonieux) dans un salon.
Alors parfois, oui, c’est rude car c’est que l’on appelle de l’écoute monitoring, sans fioriture.
Joël poursuivit ses vacances plus au Sud, mais nous n’en n’avions pas terminé de nos conversations et de ses conseils.