Paru en 1989, Piece of Time du groupe américain Atheist reste, encore aujourd’hui, un jalon incontournable dans l’histoire du metal extrême. Mélange fulgurant de brutalité death metal et de finesse progressive, l’album témoigne d’un niveau de virtuosité et d’inventivité qui a marqué toute une génération de musiciens.
Originaire de Floride, Atheist voit le jour au milieu des années 80 sous le nom d’Oblivion, avant d’adopter définitivement le patronyme qui lui restera. Composé autour du duo Kelly Shaefer (chant/guitare) et Rand Burkey (guitare), le groupe commence par évoluer dans un registre proche du speed/thrash, avant de bifurquer vers un style bien plus singulier. À cette époque, la scène floridienne bouillonne : Death, Morbid Angel, Obituary ou encore Cynic posent les bases d’un death metal encore en pleine définition. C’est dans cet environnement fécond que Atheist forge un son propre, complexe, dynamique, loin des clichés du genre.
Enregistré en 1988 mais paru seulement en 1989 suite à des retards du label Mean Machine/Active Records, Piece of Time est un premier album à la fois ambitieux et parfaitement exécuté. La production est claire, presque sèche, et met en valeur l’incroyable technique du groupe, notamment celle du bassiste Roger Patterson, dont les lignes complexes rivalisent avec les guitares en intensité. Dès le morceau-titre, le ton est donné : riffs hachés, structures labyrinthiques, batterie en feu et chant rageur composent un ensemble cohérent et redoutablement efficace. Les titres s’enchaînent sans relâche (Unholy War, Room with a View, On They Slay), chacun ajoutant sa propre couleur à cette fresque sonore. Malgré la violence du propos, Atheist se distingue par un goût prononcé pour les ruptures rythmiques, les contretemps et les modulations inattendues. Le résultat : un death metal qui groove, qui respire, et qui ne sacrifie jamais la créativité à la simple brutalité.





Piece of Time n’a peut-être pas connu un succès commercial retentissant à sa sortie, mais son influence est considérable. Il a ouvert la voie à toute une frange du death metal technique et progressif, aux côtés de groupes comme Cynic, Pestilence ou plus tard Necrophagist. Roger Patterson, tragiquement décédé en 1991 dans un accident de voiture, restera comme une figure majeure de la basse metal. Son jeu sur cet album continue d’inspirer nombre de musiciens, toutes générations confondues.
Le pressage original de 1989 sur Active Records, avec sa pochette abstraite et légèrement psychédélique (signée Ed Repka !), ajoute une dimension tangible à ce disque déjà dense et profond. La production de Scott Burns est vraiment excellente sur ce disque: les médiums sont bien présents, les aigus précis sans être criards, et la basse – souvent noyée dans les mixs de l’époque – trouve ici une vraie place.
Atheist a frappé fort dès son premier album, et même si la suite de leur discographie n’est pas en reste, c’est bien Piece of Time qui reste la pièce maîtresse. Personnellement, je ne me lasse pas de cette tension permanente entre la violence et l’intellect, entre la rage pure et la maîtrise technique. Un disque à ressortir souvent, ne serait-ce que pour redécouvrir tout ce qu’on n’avait pas entendu la fois d’avant.
Aller plus loin
Après Piece of Time, Atheist poursuit dans une veine encore plus progressive. Leur deuxième album, Unquestionable Presence (1991), est souvent cité comme l’un des sommets du death technique, avec une richesse harmonique et rythmique impressionnante. Plus jazz dans l’esprit, plus aérien mais toujours aussi intense, il marque un tournant dans le genre. Le troisième disque, Elements (1993), pousse encore plus loin l’expérimentation, flirtant avec des textures quasi-fusion. Plus déroutant mais passionnant, il témoigne d’un groupe toujours en quête de renouvellement. Après une longue pause, Jupiter (2010) signe leur retour dans un registre plus direct, mais toujours exigeant.




Si tu veux explorer d’autres albums dans le même esprit et la même époque, je te recommande vivement Testimony of the Ancients de Pestilence (1991), à la croisée du death metal et du progressif, ou encore Human de Death (1991), qui marque une mue technique spectaculaire pour le groupe de Chuck Schuldiner. Focus de Cynic (1993) est une autre œuvre incontournable : death metal, jazz et ambient s’y entremêlent avec une audace folle. Enfin, Mental Vortex de Coroner (1991), bien que plus thrash dans l’approche, partage cette recherche constante de complexité et d’élégance.
Tous ces albums, à leur manière, ont prolongé l’élan donné par Piece of Time – et tous méritent une belle place dans une collection vinyle digne de ce nom.