JOURNAL D’UN MELOMANE est une websérie en 9 épisodes écrite par Kostia Milhakiev, qui retrace son parcours de mélomane au fil du temps.
J’ai abordé la musique classique à pas de loup. D’abord, je pensais que posséder un seul disque de la 5ème de Beethoven était suffisant pour la connaître bien. Jusqu’à ma découverte de ce dessin de Sempé : Dans un intérieur bourgeois, haut de plafond et au décor chantourné, s’élève et s’étend un mur de microsillons devant lequel le maître des lieux pose en majesté. L’invité, qu’il reçoit avec affectation, observe cette cathédrale musicale et déclare : « Vous possédez, certes, toutes les œuvres essentielles. Mais vous n’avez aucune des bonnes interprétations… ».
Soucieux d’avancer avec méthode dans mes découvertes, j’ai pratiqué avec le même entêtement stupide que pour mes achats de matériels. Je me suis abonné à DIAPASON, et j’ai scrupuleusement acheté des disques ayant reçu une note technique minimum de 9 ou 10. J’étais l’idiophile parfait. Je faisais passer la clarté du son, ce que je pensais être son intelligibilité, avant l’interprétation de l’oeuvre, avant la sensibilité et l’intelligence personnelles qu’un musicien, ou un chef, apportent à leur sujet musical. Pour autant, piochant d’abord parmi les compositeurs les plus connus, j’ai découvert la richesse émouvante du monde classique.
Dans le même temps, le CD avait paru, enjolivé d’articles élogieux dans la presse et à la télévision. On allait entendre ce qu’on allait entendre ! Un monde nouveau s’ouvrait à la musique, commode à transporter, pratique à utiliser, indestructible, moderne — surtout moderne ! —, avec un son incomparable.
En réalité, Sony et Philips avaient tranché un choix hasardeux, le 16 bits/44.1 Khz. Outre le fait que la musique ne reproduisait plus un signal sinusoïdal mais une séquence de tranches numériques, l’échantillonnage 16 bits ne couvrait pas toutes les harmoniques. Retenez qu’un CD standard ne contient que 30 % environ de la musique issue d’un master de studio. Cela sonnait dur et métallique. Les cymbales de Jo Jones tintaient comme des coups de fourchette frappés sur un seau à glace. Ces différences entre le vinyle et le numérique tenaient à toutes sortes de paramètres mal maîtrisés lors de la transition vers ce nouveau support, à la fois lors de la prise de son, lors du pressage et lors de la lecture sur des DAC encore perfectibles .
Désormais, on peut affirmer que théoriquement le numérique devrait sonner mieux que le vinyle. Peut-on ?…
Pourtant, quelles que fussent mes écoutes chez moi, sur des matériels supposément les plus sophistiqués, il m’arrivait d’entendre un air qui me captivait sur l’autoradio de ma voiture. Je garais alors le véhicule et laissais passer cet instant de plaisir dans l’acoustique médiocre de l’habitacle. Zut, une musique d’autoradio pouvait me donner du plaisir ? Où était l’erreur ?
Cinquante années ont passé entre mes premières écoutes de Georges Lang, la nuit. Et, ce phénoménal animateur tient toujours l’antenne ! Dans ce laps de temps, j’ai été complètement infidèle à mes matériels qui ont évolué en tous sens. Puis, à la fin de ma carrière professionnelle, j’ai déménagé dans une grande maison de solitude ou seule la musique est ma compagne. ‘avais enfin, pour elle et moi, une pièce dédiée de 40 m2 où j’installais mon dernier set-up ; platine EMT 948 (de l’ancienne ORTF), bras EMT avec cellule TDS 15, DAC et player dCSVerdi, préamplificateur NAGRA PL-P, amplificateurs CELLO, enceintes QUADRAL TITAN II.
L’accumulation de tous ces matériels, cités depuis le début de cette chronique, présuppose des coûts faramineux. Oui et non. Lors de mes modifications, je pris l’habitude d’opérer par reprise ou par échange de matériel en rachetant d’occasion. Donc, oui, il y a un coût. Mais, disons, à la marge et étalé sur une cinquantaine d’année de vie professionnelle financièrement satisfaisante. Cependant, j’ai offert à Frangine une chaîne musicalement parfaite pour un coût de moins de 1000 euros, j’en donnerai la description ultérieurement.
Mon orgueil de hifiste s’épanouissait enfin dans une « pièce de musique » dédiée, avec vue sur la mer, jouissant de ses derniers achats.
Jusqu’à ce que le placoplâtre du plafond me tombe un jour sur la tête !